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Colloque international : appel à communications

Les mots et les choses au XVIIIe siècle : la science, « langue bien faite » ?

Date : 21-22 septembre 2007

Lieu : Université Lyon 2, Lyon, France

Comité organisateur : Denis Reynaud (Lyon 2 / UMR 5611 LIRE), Philippe Selosse (Lyon 2-GRAC / UMR 5037 Institut d’Histoire de la Pensée Classique)

2007 verra la célébration du tricentenaire des naissances de Linné et de Buffon. Ce sera pour nous prétexte à réunir les deux ennemis de l’histoire naturelle classique dans une perspective commune. Celle-ci ne sera centrée ni sur la biographie ni sur le statut des deux hommes mesuré à l’aune de la science actuelle. Elle les inscrira en revanche dans la réflexion générale des Lumières sur les rapports entre langue et science, à travers notamment les questions de nomenclature.

1. Cadre épistémique de la nomenclature au siècle des Lumières

En botanique mais aussi en zoologie, le xviii e siècle est le siècle des systèmes (Linné 1735, 1738 ; Adanson, 1763 ; Bergen 1750 ; Boissier de Sauvages 1751 ; Gleditsch 1764 ; Haller 1742 ; Heister 1748a ; Jacquin 1760 ; Ludwig 1739a…) et de la réfutation des systèmes (Buffon 1749 ; Crantz 1766 ; Lamarck 1792d-f). Ces systèmes, qui concernent aussi bien la classification des pierres, plantes et animaux, que la structuration de leurs dénominations, ont donné lieu à l’émergence d’un terme nouveau en français, celui de nomenclature dans ses acceptions de « méthode systématique de structuration des dénominations » et « ensemble des dénominations structurées selon une méthode » (1758 selon le Trésor de la Langue Française). C’est sur les problématiques soulevées par ce nouveau concept que le colloque concentrera sa réflexion.

S’attacher à la nomenclature, c’est d’abord prendre en compte l’importance de la langue dans les publications scientifiques de l’époque – et rappeler que la science est alors indissociable (indissociée) des lettres (Buffon 1753) et se réalise d’abord par la langue. La nomenclature est en effet au cœur des publications :

l Linné (1751) présente une nouvelle nomenclature – non pas celle, binominale, que l’historiographie a confusément attachée à son nom, mais celle des noms spécifiques essentiels, naturels et factices – qui donne lieu à de violentes polémiques tout au long du siècle, tant sur le fond (le type de nomenclature proposé – Siegesbeck 1737, Gleditsch 1740) que sur la forme (le bouleversement occasionné par la nouvelle nomenclature – Dillen 1732). De plus, bien d’autres auteurs présentent des tentatives nouvelles de nomenclatures : Adanson (1763), Bergeret (1783), Rafinesque-Schmalz (1814), Rousseau (1777)…

l un concept marginal de Linné, celui des « Noms Triviaux » (source de la nomenclature binominale), se trouve prendre un développement inattendu en France, par sa compatibilité avec la théorie des idées des encyclopédistes (Auroux 1979) et le condillacisme. D’abord approuvé en 1774 par l’Académie des Sciences, il est ensuite prôné par les botanistes français (les Jussieu, Lamarck, Rousseau…) puis devient la base de la nomenclature internationale ;

l aucun botaniste, qu’il suive ou combatte Linné, ne publie alors d’ouvrage sans commencer par de longues discussions sur les dénominations, le mode de dénomination – avant même de présenter son système de classification et les nouvelles plantes recensées. La langue paraît donc être l’objet central de toutes les attentions (Heister 1748b ; Ludwig 1747 ; Millin, 1795 ; Müller-Wille 2006 ; Reynaud 1989), à tel point que les réflexions sur la langue débordent parfois très largement le simple cadre de la nomenclature (Adanson 1763).

La nomenclature est par ailleurs et surtout la notion qui concrétise, au niveau de la langue, l’opposition alors récurrente entre un réalisme qui vise des entités spécifiques existant dans la nature et indépendantes de l’homme, et un conceptualisme qui vise des entités spécifiques saisies par l’homme dans la continuité de la nature et en tant que telles dépendantes de la perception humaine. Dans le premier cas (Linné), les espèces, discrètes, peuvent être nommées et leur définition passe exclusivement par la nomenclature (rejet de l’image), qui a force ontologique ; créées par Dieu, elles n’ont rien de commun avec l’humain et refusent donc tout ce qui ressortit à la rhétorique (rejet des figures de style). Dans le second cas (Buffon), les espèces, prises dans un continuum, ne peuvent être nommées qu’artificiellement, sans aucune dimension définitoire ; fruits de l’esprit humain appréhendant la nature, elles ne peuvent être mieux approchées et définies que par le discours humain, dont une des caractéristiques est la rhétorique et le recours à l’image sous toutes ses formes, picturale et linguistique (intégration des figures de style). La « nomenclature » est alors analogique de la « langue de la nature » et tout le débat se résume à deux positions : « réduire la langue de la nature au système » ou « réduire le système à la langue de la nature » (Crantz 1766)

La nomenclature, enfin, est souvent définie sous forme d’aphorismes baconiens, qui prennent le nom de « lois » ou « fondements ». Cette dimension législative n’est peut-être pas sans objectifs politiques : certains (Drouin 2000) y ont vu l’amorce d’un « pacte social » ; d’autres (Duris 1993, 2006) y ont vu l’effet inverse, la Révolution française et sa « frénésie nomenclaturale » en tous domaines (poids et mesure, calendrier, chimie…) concrétisant l’importance de la réflexion nomenclaturale en lui donnant un caractère social et politique prééminent. À moins que ce ne soit simplement un fait d’épistémè… ?

2. Problématiques du colloque

Les communications tenteront de répondre à la question générale Qu’est-ce qu’une nomenclature ? en partant des problématiques suivantes :

– du point de vue de l’histoire des idées : quels sont les liens existant entre nomenclature et système, dans une épistèmè de systèmes (Leibniz, Système nouveau de la nature, entre autres) ? L’opposition de Vicq d’Azyr (<1779>, 1805 - qui critique la dépendance de la nomenclature botanique à l’égard du système de Linné) et de Condorcet (<1778>, 1781 - qui affirme au contraire l’indépendance de cette nomenclature à l’égard de tout système), l’apparente opposition de Linné et Buffon au sujet de la nomenclature, l’intégration des caractéristiques des différents systèmes développés par chaque botaniste dans leurs nomenclatures, constituent autant de bases de réflexion ;

– du point de vue linguistique : quelles sont les caractéristiques linguistiques d’une nomenclature ? Et en particulier au xviii e siècle, quelles en sont les caractéristiques en latin ? en français ? en anglais ? en allemand ? en italien ? En quoi la nomenclature emprunte-t-elle aux nouvelles conceptions de la langue développées par les Encyclopédistes (Beauzée et autres) ?

– du point de vue philosophique : en quoi la nomenclature caractérise-t-elle l’épistèmè des Lumières ? Quels sont les liens entre la nomenclature des naturalistes et les réflexions conceptualistes de Bacon, Locke et Condillac (entre autres) ? et les réflexions réalistes d’un Leibniz ? quelle est la place de la nomenclature dans les théories de la connaissance d’un Condillac, d’un Rousseau, d’un Leibniz (cf. Selosse 2006)… ?

– du point de vue épistémologique : la science des Lumières se réduit-elle à des systèmes de représentations, dont la nomenclature serait la forme la plus accomplie ?

– du point de vue politique, enfin : quelle dimension sociale attribuer aux lois nomenclaturales et à leur visée universelle ? comment interpréter l’extrême attention portée à la nomenclature de la Révolution française, dans le droit fil de la pensée linnéenne ?

3. Soumission des propositions de communications

L’examen des propositions de communication sera fait par deux membres du comité scientifique ;

– chaque proposition comportera le titre et le résumé de la communication (2500 caractères maximum), accompagnés de 5 références bibliographiques (max.) permettant de situer l’orientation du travail, et suivis du nom, de l’appartenance institutionnelle et de l'adresse postale ou courriel de l'auteur ;

– langues de travail : français, allemand, anglais, italien ;

– envoi des propositions, soit par courrier postal à l’adresse suivante : Denis Reynaud, Faculté Lesla, Université Lyon 2 / 18, quai Claude Bernard 69365 LYON cedex 07 ; soit par courriel : denis.reynaud@univ-lyon2.fr, selosse.philippe@wanadoo.fr

– date limite de réception : 31 décembre 2006.

4. Calendrier :

– appel à communication : juin 2006

– date limite de réception des propositions de communication : 31 décembre 2006

– date d’acceptation des communications : 1 er mars 2007

– tenue du colloque : 21 et 22 septembre 2007 à Lyon

– la publication des actes est envisagée à l’issue du colloque

Références bibliographiques

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« Art d’établir et de classer les objets d’une science et de leur attribuer méthodiquement des noms » (Duhamel-Monceau).