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Présentation : La structure de la proposition : histoire d'un métalangage
Patrick SERIOT
Professeur ordinaire de linguistique slave
Directeur du CRECLECO
Faculté des Lettres
Université de Lausanne
BFSH2
CH - 1015 LAUSANNE
tél. + 41 21 692 30 01
fax. + 41 21 692 29 35
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Patrick.Seriot@unil.ch
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Le développement de la problématique sur les rapports entre langue et pensée, comme entre «grammaire générale» et «grammaires particulières», a fréquemment été présenté, du moins dans la tradition européenne, comme l'histoire de découplages progressifs entre logique et grammaire, entre jugement et proposition grammaticale, etc. Ce mouvement a du reste été thématisé comme tel par les acteurs eux-mêmes à partir de la deuxième moitié du 19ème siècle.
Or, si la délimitation plus stricte des champs a pu à juste titre être perçue comme une libération, la pertinence exacte de ce topos mériterait cependant d'être précisée. Lorsqu'il semble à première vue avéré, cet éloignement réciproque a pu en effet, et paradoxalement, prendre la forme d'une évolution parallèle (c'est le cas, notamment, du passage de la division S/P à une structure de type fonction/arguments). Par ailleurs, même si l'on se limite à la tradition «grammaticale», il reste clair que de nombreux textes, qui postulent le cas échéant une «autonomie de la syntaxe» d'un autre type, entrent difficilement dans ce schéma. (Au deux extrémités de la période moderne, on songera par exemple aux cas connus que sont Sanctius (1587) ou Ries (1894).)
Objectivement, on assiste plutôt à de constantes recompositions des frontières entre logique, grammaire et psychologie, au cours desquelles l'«affranchissement» d1un champ à l'égard de l'autre se fait souvent par son alliance avec le troisième. Enfin, et plus généralement, il est parfois très difficile de tracer des lignes claires entre les multiples enjeux et influences. Dans quelle mesure, par exemple, les disputes au 19ème siècle autour de l'alternative entre modèle nomino-centriste et modèle verbo-centriste ne se superposaient-elles pas à une véritable question technique, l'héritage d'alternatives anciennes (Aristote vs. stoïciens), et des enjeux idéologiques «externes» (que manifeste simultanément le théma du «dynamisme» spécifique à la phrase indo-européenne) ?
Ces quelques rappels, non limitatifs, suffisent à montrer comment de multiples facteurs ont très vraisemblablement interféré pour orienter, voire infléchir, une technique de description, qui s'est cependant objectivement affinée au cours du temps. L'objet de la rencontre est de démêler quelques-uns de ces facteurs à l'époque moderne et contemporaine.
Mais pour y parvenir, une approche comparative est indispensable, c'est pourquoi on insistera sur l'intérêt de présenter des problématiques issues de différentes traditions européennes (Europe centrale et orientale en particulier), pour faire apparaître, dans les réceptions croisées, les réinterprétations et malentendus, des éclairages nouveaux ou inattendus.
Patrick SERIOT & Didier SAMAIN
Résumés:
— Sylvain AUROUX (CNRS-Paris) : Brève histoire de la proposition
L’une des façons de se représenter un phénomène consiste à le décomposer en éléments. Munis d’une liste d’éléments et d’une (ou plusieurs) loi(s) de composition on peut imaginer reconstituer le phénomène. Dans la pensée occidentale, il semblerait que le langage ait fourni le modèle même de ce type d’analyse, grâce à l’alphabet qui servit d’exemple aux atomistes. La lettre n’est pas le seul élément utilisé dans l’analyse du langage : deux autres sont essentiels le mot (onoma, puis lexis) et la proposition. C’est Platon dans le Sophiste qui fit remarquer que le langage humain n’est pas une simple liste de signes, mais qu’il correspond à la concaténation minimale de deux signes de nature différente (onoma et rhêma, nom et verbe) pour former une unité de sens. Aristote formalisa la découverte dans des conditions très drastiques :
- construction d’un modèle très contraint de la structure propositionnelle : S(ujet) est P(rédicat).
Ce modèle devait donner naissance à la logique occidentale et à la théorie des parties du discours (meroi logou), quand bien même il ne fut adopté que tardivement par les grammairiens (on date du XII° siècle l’introduction de la catégorie de sujet dans leurs analyses). Il comportait de graves limitations intrinsèques, qu’on peut limiter aux problèmes techniques en laissant de côté les questions d’ontologie, aux conséquences au moins aussi lourdes:
L’histoire du cœur des sciences du langage occidentales (la logique et la grammaire) est dominée par deux phénomènes : les avancées explicatives produites par l’application du modèle et les prouesses techniques pour en contourner les limitations par des hypothèses ad hoc, jusqu’à son remplacement, en logique, par le modèle Frege/Russell qui n’est pas lui-même sans problème et par les grammaires de dépendance. Ce sont les grandes articulations de cette histoire que nous nous proposons de décrire jusqu’aux hypothèses contemporaines.
— Anne-Françoise EHRHARD-MACRIS MCF - Université Paris IV, centre Malesherbes, UFR Etudes Germaniques : John Ries (1857 – 1933) et la théorie de la proposition (/ phrase – « Satz »)
John Ries est d’abord un diachronicien spécialiste du Heliand s’interrogeant sur les statuts du sujet et du prédicat. Sa réflexion le conduit, à partir d’une interrogation générale sur la syntaxe, à l’étude précise de la « Wortgruppe », c’est-à-dire du « groupe de mots » qui n’est pas nécessairement un constituant. Ce travail débouche sur une nouvelle conception de la phrase / proposition, objet de son dernier ouvrage Was ist ein Satz ? (1931). Il se démarque par une approche conceptuelle très épurée qui le distingue à la fois d’autres linguistes ayant travaillé sur le groupe de mots, et de continuateurs de sa pensée, pour certains marqués par un courant ou vocabulaire psychologisant ou « logique », terme que je serai amenée à expliciter.
L’intervention visera à dégager la spécificité de sa théorie de la proposition et de sa définition de la phrase. Ce sera l’occasion d’insister sur la distance critique entretenue par Ries avec d’autres grammairiens ou linguistes.
— Lia FORMIGARI (Université de Rome) : La proposition et ses parties. Psychologisme et analyse linguistique.
Le débat sur le statut de la proposition à partir des années 1860 passe à travers les délimitations réciproques et les chevauchements des trois domaines disciplinaires de la grammaire, de la logique et de la psychologie. Le problème d'une collocation de la psychologie dans l'encyclopédie des sciences, de sa différentiation par rapport à la logique, et des compétences des deux disciplines en matière de grammaire s'était posé déjà dans l'aetas kantiana. On avait fait valoir alors des notions diverses de psychologie, entre autres une notion qui jaillissait d'une interprétation de l'analytique kantienne dans la tradition de la logique des idées. C'est une notion active aussi dans le débat sur la proposition et ses parties qui nous interesse içi: une science à vocation génétique qui concerne la naissance des représentations et les modalités de leur expression symbolique .
Les discussions sur la nature du sujet de la proposition sont un bon champ d'observation des différentes dislocations des trois critères (grammatical, logique, psychologique) chez des auteurs comme Paul, Wegener, Gabelentz, Wundt, qui partagent pourtant la polarisation entre un jugement de compatibilité formelle confié à la grammaire et une analyse génétique des modalités selon lequelles se produit la Darstellung linguistique. A travers ces discussions on comprend bien pourquoi la revendication de l'autonomie de la grammaire n'a pas produit dans ce contexte une methode pour l'étude de la proposition comme structure abstraite, mais plutôt des techniques d'analyse centrées sur la situation des locuteurs.
— Anne-Marguerite FRYBA-REBER (Université de Berne) : De Genève à Prague en passant par Graz ou comment dénouer le nœud gordien de la structure de la phrase
L'année 1908 est une année faste dans l'histoire de la linguistique. Au nombre des publications marquantes, citons Programme et méthodes de la linguistique théorique. Psychologie du langage d'Albert Sechehaye, ouvrage qui connut, à en juger par les comptes rendus, un rayonnement européen et dont le manuscrit avait été examiné par un lecteur exceptionnel, Ferdinand de Saussure.
La même année, Niemeyer publie une somme philosophique de grande importante pour la linguistique, Untersuchungen zur Grundlegung der allgemeinen Grammatik und Sprachphilosophie (Investigations sur le fondement d'une grammaire générale et d'une philosophie du langage). Son auteur, Anton Marty, d'origine suisse, est professeur à l'université allemande de Prague et réfléchit depuis plus de trente ans au rapport entre la psychologie, la philosophie et la linguistique. Contrairement à ce que suppose Komatsu dans sa préface à l'édition du cours III, le nom de Marty, pas plus du reste que celui de Husserl, n'était connu de Saussure, ni de Sechehaye, du moins pas à l'époque de l'édition du CLG: ce n'est qu'en 1933 que Sechehaye cite le nom de Marty. Disciple de Brentano, comme Husserl qui est de dix ans son cadet, Marty appartient à un courant philosophique extrêmement puissant et fécond (qui annonce la philosophie analytique) et qui veut substituer à la philosophie "romantique spéculative" de l'idéalisme allemand une philosophie strictement scientifique, empirique, dont le noyau serait la psychologie.
A Graz enfin, le franc-tireur Hugo Schuchardt réfléchit à la pertinence des définitions psychologique, logique et grammaticale de la phrase dans une perspective génétique: on trouvera l'essentiel de sa doctrine dans ses quatre interventions magistrales à l'Académie de Berlin en 1919.
L'objectif de cette présentation est de proposer une approche comparative des tentatives de Sechehaye (avec en creux celle de Saussure), de Marty et de Schuchardt qui s'efforcent tous trois à repenser les frontières entre logique, grammaire et psychologie à propos de la structure de la phrase. Cette exploration permettra du reste de préciser le fonctionnement des réseaux intellectuels en Europe avant la Première Guerre mondiale.
— Francesca GIUSTI-FICI (Univ. de Florence) : La forme de la parole, question centrale entre psychologie et grammaire. Quelques observations sur la linguistique européenne centre-orientale à la fin du XIX et au début du XX siècle.
Dans la deuxième moitié du XIX siècle, la pensée linguistique est influencée par l’idée que, étant la langue expression d’une activité naturelle, elle doit être étudié à partir de l’observation des faits concrets, et par la conviction que cette activité ait une base psychologique. Ces principes, qui avaient été formulées, en particulier, par Hermann Paul dans ses Prinzipiender Sprachgeschichte, trouvaient entre les confins de l’empire russe des interprètes particulièrement attentifs en Jan Baudoiun de Courtenay et en F. F. Fortunatov. C’est à partir des idées de ceux grands linguistes, vécues entre les deux siècles, qu’ils se sont développées les deux écoles linguistiques russes: celle de Kazan’ et cette de Moscou. Deux écoles toute à fait différentes, qui doivent être présentées et traitées séparément. Dans la limite de mon exposé, je me bornerais à la présentation de la théorie de la forme de la parole proposée par Fortunatov.
Toutes les énonciations de l’activité linguistique, écrivait Paul, « coulent de l’espace obscure de l’inconscient de l’âme [fliessen aus diesem dunkeln Raum des Umbewussten in der Seele]. Dans cet espace se trouve ce dont disposent les moyens linguistiques et qui consiste en groupes de représentations [Vorstellungen], cachées les unes sous les autres. Ces représentations sont tous ce qui est entré dans notre conscience [Bewusstsein] dans la forme de la langue à travers le parler et l’écouter. Elle [la forme] nous permit de reconnaître ce qui se trouve déjà déposé dans notre conscience. Les représentations ce combinent entre eux et réalisent grandes séries acoustiques, qui se rapportent non seulement à la valeur du mot, mais aussi à la valeur des relations syntaxiques. Ainsi des phrases complètes se combinent avec le contenu de la pensé qu’ils représentent » (H. Paul, 4° édition, 1909, pp. 26, 27).
C’est à partit de ces idées sur la forme de la langue, que F. F. Fortunatov construit sa théorie sur la forme de la parole (forma slova). Selon Fortunatov, dans l’esprit sont déposés des représentations des objets de la pensée (qu’il appelle “signes”, znaki predmeta mysli), qui viennent de la langue vivant (živaja reč’). La production des représentations nouvelles a lieu grâce à un principe de sélection des propriétés formelles. Donc la forme de la parole, telle comme elle se manifeste dans la langue, est le résultat de la combinaison de l’élément psychologique (les représentations) avec le donné formel (le son). Elle peut être constituée d’un seul mot ou bien de plusieurs mots combinés ensemble, n’importe de quelle catégorie ils font partie, substantifs ou verbes. Et puis que chaque combinaison de mots (slovosočetanie) est expression d’un jugement, on peut parler indifféremment de combinaison de mots et de proposition.
La modernité de cet approche se manifeste aussi là où Fortunatov souligne que la forme de la parole, comme aussi la combinaison des mots, comprenne une partie matérielle et une partie psychologique. La première est représentée par le son, la deuxième par le sens (les mêmes composants du signe d’après Saussoure). D’ici vient l’idée que la langue dispose, en soi même, des catégories qui lui sont nécessaires pour exprimer la pensée humaine, celle matérielles et celle psychologiques; de ce point de vue, les catégories fonctionnelles qui seront introduites par les structuralistes, résultent tout à fait superflues.
— Giorgio GRAFFI (Univ. de Pise) : ‘Subject’ and ‘Predicate’ since the Middle Ages until Port-Royal
The origins of the terminological pair subiectum/praedicatum, as is well known, lie in Boethius’ translation and commentaries of Aristotle’s De interpretatione. It is often assumed that, during the Middle Ages, the terms subiectum and praedicatum remained restricted to logic, while grammarians used suppositum and appositum, but this view does not seem to hold: both pairs occur in works both of grammarians and logicians, sometimes also with not entirely overlapping meanings. One has also to ask to what extent subiectum and suppositum, praedicatum and appositum coincide with the modern meaning(s) of the term ‘subject’ and ‘predicate’. The relationships between suppositum, subiectum and nominativus or rectus (the last actually referring to a syntactic function, not simply the grammatical case) have also to be investigated: it seems that some grammarians assume that suppositum coincide with nominativus or rectus, while other grammarians (e.g., Thomas of Erfurt) do not. The equivalence is explicitly stated in Scioppius. It was assumed by V. Salmon that the first to reintroduce subiectum and praedicatum into grammar was Vossius: actually, the terms were employed, as well as by some Medieval grammarians, also by other 17th century grammarians. At any rate, Vossius’ use of the terms is rather seldom and casual. The terms really became central with Port-Royal Grammaire, which, on the other side, still shows some occurrences of ‘subject’ in non-grammatical sense. It must also be investigated the reason why Port-Royal Grammaire and Logique preferred to employ the term attribut instead of ‘predicate’
— Rémi JOLIVET (Lausanne) : Enoncé minimum, syntagme prédicatif, prédicat, actualisateur, sujet...
Les fluctuations terminologiques et les enchevêtrements qui affectent les principaux concepts syntaxiques utilisés par André Martinet sont de bons révélateurs des divers plans qui interfèrent dans la conception de la phrase et de la prégnance persistante du modèle des langues occidentales, conçues comme disposant d'une classe de monèmes spécialisée dans une certaine forme d'emploi prédicatif ("verbe"). On peut penser aussi que s'y révèle le malaise que produisent les conséquences de l'adoption d'une définition rigoureuse - mais étroite - de la langue.
— Peter LAUWERS (FRS-flamand – KULeuven) : L’analyse de la proposition dans la grammaire française traditionnelle: une syntaxe à double directionnalité?
Chervel (1977) souligne à juste titre l’impact qu’a eu la double analyse dans l’enseignement de la grammaire au 19e siècle. Cet exercice est emblématique d’une certaine volonté de découpler grammaire et logique, tout en maintenant la logique dans le cadre de la grammaire.
Même après son abolition officielle (1910), l’esprit de la double analyse a continué à hanter la grammaire française, même en dehors du domaine strictement scolaire. C’est ce que nous entendons démontrer à l’aide d’une analyse de 25 grammaires de référence du français, représentant le sommet de la production grammaticographique de la première moitié du 20e siècle.
Le dispositif d’analyse de la phrase de l’époque se présente en effet comme un compromis imparfait entre deux directionnalités d'analyse, à savoir une approche ‘descendante’ et sémantico-logique de la proposition (qui divise la proposition en parties sémantico-logiques) et une description ‘ascendante’ qui aborde la syntaxe à travers le prisme des parties du discours (= approche catégorielle).
D’un côté, les grammaires restent tributaires d’une approche purement ‘catégorielle’ de la syntaxe (p.ex. arbre est sujet au lieu de le grand arbre, la "syntaxe du nom, etc.", le plan des grammaires; etc.). D’un autre côté, l'approche logique, déjà en grande partie délogicisée, découpe la proposition en blocs sémantiques, dont le nombre ne cesse de croître. En même temps, elle rate la jonction avec l’analyse ‘psychologique’ de la proposition, comme le montre la comparaison avec les quelques grammaires de facture allemande du corpus.
Ces deux perspectives n’aboutissent pas seulement à certains ‘excès’, elles posent aussi et surtout le problème épistémologique de l’articulation des deux approches. On ne peut que constater qu’elles ont mis en place une syntaxe foncièrement discontinue (interface mots-fonctions?; absence de récursivité; absence du syntagme, en tant que niveau intermédiaire entre le mot et le terme de la proposition). Qui pis est, cette analyse discontinue – comment, en effet, monter du mot à la phrase? – et schizophrène (deux approches hétérogènes, l'une de nature catégorielle, l'autre sémantico-fonctionnelle) engendre aussi des 'conflits frontaliers' dans les secteurs de la description où les deux approches entrent en concurrence. Ainsi, on repère deux séries de fonctions, auxquelles correspondent aussi deux termes génériques différents (terme de la proposition et fonction). Les compléments, quant à eux, sont tiraillés entre deux conceptions différentes et font l’objet de deux systèmes de classement concurrents.
On perçoit cependant quelques lueurs d’espoir, qui pourraient mener à une amorce de solution . On note, en effet, quelques tentatives isolées – en dehors de toute réflexion globale – qui cherchent à introduire des concepts nouveaux, capables de meubler l’espace qui sépare le mot du terme de la proposition. C’est dans ce sens qu’on peut parler de l’apparition – tâtonnante – du groupe de mots et de la perspective fonctionnelle transversale (groupes adverbiaux, adjectivaux, etc.).
— Franco LO PIPARO (Palermo) : La proposition comme gnomone linguistique. Le point de vue d’Aristote.
La relation aura un côté historique et un côté théorique. On examinera les définitions mathématiques et philosophiques de gnomone données par Philolao, Aristote, Euclide et Héron d’Alexandrie et on essayera de montrer en quel sens la proposition se conduit comme un gnomon. La proposition est un gnomon sous deux aspects: par rapport à ses parties et par rapport au monde dont elle parle. C'est surtout le premier aspect qui sera objet de la relation.
Dans les deux cas un rôle centrale est joué par la notion de self-similarity. Pour expliquer ce concept il faudra considérer surtout le point de vue d’Aristote sur le rapport entre le nom et la proposition.
— Michel MAILLARD (Funchal) : L’évolution dialectique des modèles descriptifs de la proposition dans l’histoire de la grammaire portugaise, de 1536 (Grammatica daLingoagem Portuguesa de Fernão de Oliveira ) à 1936 (Gramática Histórica daLíngua Portuguesa de Francisco Sequeira)
En suivant le jeu des oppositions entre modèles binaires et ternaires qui structure l’histoire de la grammaire portugaise des quatre derniers siècles, on se demandera en quoi cette dynamique réactualise la polarité antique entre les conceptions aristotélicienne et stoïcienne de la proposition. Sur cette problématique viennent se greffer des apports modernes, celui de Sanctius à la fin du 16e, de Port-Royal au 17e et des Encyclopédistes au 18e, avant que des modèles germaniques verbo-centrés ne prennent le pas sur les modèles espagnols et français après 1870.
On peut ainsi diviser l’histoire de la grammaire portugaise en quatre périodes. Avant Sanctius, au 16e, la grammaire dite «humaniste» de Fern ã o de Oliveira et de Jo ã o de Barros tente de faire pour la lusophonie ce que l’espagnol Nebrija a fait pour le castillan, à savoir une «Défense et illustration» de la langue vernaculaire, qui met en valeur l’originalité et le bien-fondé du système lusophone face au latin, mais réserve une part peu importante à la syntaxe et se contente de remarques éparses sur la construction des propositions.
À cette grammaire «humaniste», fortement particulariste, pour ne pas dire nationaliste, s’oppose, au siècle suivant, une approche totalement différente, d’inspiration universaliste, conçue dans le sillage de l’espagnol Sanctius, et qu’illustre le titre de Roboredo (1619) Methodo grammatical para todas as linguas «Méthode grammaticale pour toutes les langues». Sous le binôme suppositum/appositum, venu des Modistes et réactualisé par Sanctius, se devine le schéma ternaire sujet-verbe-objet. Selon le grammairien espagnol et ses épigones lusophones, tout verbe d’action impliquant à la fois sujet et objet, l’absence de l’un ou de l’autre est imputée à ellipse, ce qui revient à nier la réalité des impersonnels comme celle des intransitifs. L’influence de Sanctius au Portugal a duré jusqu’à ce que Port-Royal prenne le relais, à la fin du 18e. En 1799 encore, lorsque Figueiredo introduit sa triade terminologique agent-action-patient, s’il n’est pas fait nommément référence à Sanctius, la conception sanctienne du verbe n’est pas loin puisque, chez Figueiredo, dans la phrase «active», action et verbe sont deux termes substituables.
Cependant, avec Fonseca (1799), s’amorce une troisième période, celle des grammaires «philosophiques» inspirées de Port-Royal et des Encyclopédistes. La structuration triadique de la proposition en sujet-verbe-attribut se retrouve un peu partout, notamment chez Barbosa (1822) qui, dans sa Grammatica philosophica da línguaportugueza, fait de amo «(j’)aime» la forme elliptique de Eu sou amante «je suis amant», structure ternaire de référence.
Mais, parallèlement, sous l’influence de Beauzée et Du Marsais, s’introduit chez Barbosa, et même un peu avant, dès 1818, chez Jo ã o de Melo, la notion de «complément» (complemento), qui grignotera peu à peu l’empire de l’attribut, hérité de Port-Royal, et remettra en cause la portée paradigmatique du verbe être, le verbe «substantif» de base.
C’est avec Dias (1870) que s’ouvre la quatrième période, celle des grammaires historiques et comparées, d’inspiration philologique, dominée par des influences anglo-saxonnes. S’impose d’abord le modèle binaire sujet-prédicat, où le complément s’inscrit comme une fonction secondaire, intégrée à l’un ou l’autre de ces deux termes. Dans ce cadre bipartite, l’attribut à la française se trouve défini comme un complément «prédicatif», rapporté soit au sujet de la prédication soit à l’objet contenu dans le prédicat. C’est chez Dias qu’apparaît l’expression Nome predicativo do complemento directo, «Nom prédicatif du complément direct», correspondant à l’attribut du complément d’objet des francophones. Chez Azevedo (1880), il est dit que le verbe, s’il a une signification définie, peut constituer à lui seul un prédicat. C’est seulement s’il a un sens indéfini qu’il appelle une complémentation. Et même «être», le verbe indéfini par excellence – en portugais tantôt ser, tantôt estar – peut se passer de toute complémentation prédicative lorsque le contexte est éclairant.
Ainsi le verbe prend une place toujours plus centrale à mesure qu’on avance dans l’histoire et que la part de la syntaxe augmente dans la grammaire. Chez Coelho (1891), le verbe arrive en tête des parties du discours, suivi du substantif et de l’adjectif, selon une hiérarchie qui annonce Tesnière. Quant à la proposition, elle s’analyse en sujet-prédicat-objet, avec une position centrale du prédicat qui fait songer à Frege et aux grammairiens allemands mais aussi à certains russes étudiés par Sériot, tels Potebnja ou Dmitrievskij, en conformité avec un certain «air du temps», qu’on pourrait qualifier de humboltien. Cette «montée» du verbe, promu cellule-mère de l’énoncé, est tout aussi nette chez Figueiredo (1907), qui désigne le verbe du terme de núcleo.
Malgré un repli officiel sur des positions plus classiquement aristotéliciennes de la Gramática portuguesa de Torrinha (1931) et de la Gramática Histórica da Língua Portuguesa de Sequeira (1936), à mesure que s’affine dans la première moitié du vingtième siècle l’étude des fonctions grammaticales et que s’approfondit l’analyse de la phrase complexe, peu à peu s’impose, dans la pratique, le rôle éminent du verbe comme centre organisateur de l’énoncé. Cela ne confirme-t-il pas implicitement, avec des siècles de retard, la justesse de l’analyse stoïcienne du verbe et de ses satellites nominaux dans le cadre de la proposition?
— Valérie RABY (Reims), Université de Reims-Champagne-Ardenne, UMR CNRS 7597 « Histoire des théories linguistiques » : Proposition et modalités énonciatives : aménagements descriptifs et terminologiques dans les grammaires françaises des 17 e et 18 e siècles
Nous aborderons la question du statut métalinguistique de l’objet « proposition » par le biais de la restitution des principaux complexes terminologiques utilisés par les grammaires françaises des 17 e et 18 e siècles pour analyser les modalités énonciatives.
L’adoption du modèle propositionnel par la grammaire générale, et la promotion corrélative du terme proposition, a pour effet de marginaliser les termes oraison, sentence, énonciation, phrase et discours jusqu’alors en usage pour désigner, de façon plus ou moins réglée, différents formats et types d’énoncés (ainsi par exemple chez Meigret, Maupas ou Vairasse d’Allais).
La redistribution de ce métalangage, observable aussi bien dans les grammaires générales que dans les grammaires particulières de la période considérée, est intéressante à deux titres :
L’examen de quelques configurations terminologiques remarquables utilisées pour décrire les modalités énonciatives suffit à mettre à jour d’importants conflits d’analyse de la structure phrastique - seront en particulier examinées les difficultés manifestes chez Thurot traducteur de Harris. Ces conflits posent, indirectement, la question de la pertinence descriptive du modèle propositionnel élaboré par la grammaire générale française. Leur prise en compte devrait contribuer à enrichir l’interprétation de certaines apories syntaxiques de cette discipline.
— André ROUSSEAU (Univ. de Lille-3) : L'analyse de la proposition chez Brentano et ses disciples (Anton Marty et Alexius Meinong)
Franz Brentano (1838-1917) , ancêtre de la phénoménologie, et surtout deux de ses disciples, Alexius von Meinong (1853-1920) et Anton Marty (1847-1914), ont été les premiers à montrer l’opposition entre deux manières de concevoir les objets et par conséquent de présenter un procès : pour Meinong, auteur de la Théorie des objets (1904), la différence essentielle réside entre le Sein (« être ») et le So-sein (litt. « être-ainsi »). Cette différence ontgologique a une conséquence immédiate sur la vissée d’une phrase, distinguant ainsi deux types radicalement différents, irréductibles l’un à l’autre. ainsi peut-on opposer, comme l’a fait Marty en 1918 deux types d’énoncé :
On peut ajouter que Gottlob Frege (1848-1925) a apporté dans sa théorie sémantique (Sens et référénce, article programmatique de 1892) une pierre à cet édifice en créant la notion de présupposé (Voraussetzung) et notamment le présupposé d’existence. L’expression même ‘présupposé d’existence’ ne prend son sens plein que dans le cadre de cette théorie , sinon il n’est qu’une banalité sans grande consistance. Le linguiste danois Otto Jespersen avait de son côté proposé le terme d’existentiel dans sa Philosophy of Grammar : « Sentences corresponding to English sentences with there is or there are, in which the existence of something is asserted or denied – if we want a term for them, we may call them existential sentences – present some striking peculiarities in many languages. » (1924 : 155)
L’opposition est actuellement véhiculée sous l’étiquette énoncé thétiquevsénoncé catégorique, qui vient de Kant C’est un acquis fondamental au plan cognitif et linguistique dont la méconnaissance avait obligé les linguistes et les logiciens de la fin du XIXème siècle à bricoler la reconnaissance en catastrophe d’un nouveau type de jugement, comme par ex. les logiciens Christoph Sigwart (1830-1904) et Benno Erdmann (1851-1921), qui n’auront d’autre ressource que d’affirmer l’existence d’un second type de jugement, clos sur le seul prédicat et pour lequel Franz Miklosich (1813-1891), professeur de slavistique à Vienne, a proposé le terme de « Prädikatsurteil »
Mais cette réflexion avait été initiée par les Anciens, notamment par Platon, et reprise par les Stoïciens et Sénèque écrit cette phrase fondamentale dans une lettre : « il y a une grande différence entre nommer une chose et discourir à son sujet » (Lettres 117,3). Frédéric Nef, qui cite ce passage, ajoute en note : « La distinction énoncée [ par Sénèque ] est à rapprocher de celle établie dans Le Sophiste entre legein et onomazein : « Aussi avons-nous dit qu’il discourt (legein) et non point seulement qu’il nomme (onomazein) (Platon, Sophiste 262 d 4).
La reconstruction de l’énoncé en indo-européen ancien, magistralement menée par le regretté Emmanuel Laroche (1914-1991) en 1957-58 à partir du témoignage des langues anatoliennes, montre qu’il était typologiquement de nature thétique. Il est loisible de penser qu’il existait un autre type, objet des reconstructions - quoique divergentes dans le détail – de W. P. Lehmann (1974) et de Paul Friedrich (1975), et qu’il était de nature catégorique.
— Didier SAMAIN, Université Denis Diderot/Paris 7, UMR 7597 CNRS : Langues et métalangages : verbe et prédication chez Heyman Steinthal
Heymann Steinthal (1823-1899), qui se situe lui-même explicitement dans la ligne de Humboldt, est généralement considéré comme un représentant du courant «psychologique» en linguistique, en réaction à la conception «logiciste» de la syntaxe. Quoique ce jugement mérite d’être nuancé (sa conception de la représentation [Vorstellung] n’est du reste pas substantiellement différente de celle de Husserl), il est vrai que Steinthal oppose clairement logique et grammaire, en considérant notamment que la prédication n’est pas stricto sensu une propriété grammaticale. Selon lui au contraire une langue se caractérise tout autant par son degré d’indépendance à l’égard de la proposition logique qu’à l’égard de l’intuition immédiate [Anschauung].
La perspective adoptée est européocentriste — Steinthal fut l’un des principaux promoteurs du topos du «dynamisme» spécifique de la phrase indo-européenne —. Notons toutefois que cette thèse offrait l’avantage d’une part de relier la théorie de la proposition à une théorie des parties du discours, voire à d’autres faits grammaticaux (tels le système casuel ou la prosodie), et d’autre part de conduire à une typologie : dès lors que l’existence d’un verbe, ou encore d’un genre grammatical, sont interprétés comme des indices de l’autonomie de la syntaxe, faire la théorie de la proposition engage simultanément une thèse sur la diversité des langues. Il y a donc là un facteur d’homogénéisation du champ grammatical, que n’offraient ni une syntaxe dépendancielle, ni un théorie de la prédication.
En d’autres termes, dans la perspective typologique adoptée, l’autonomie de la syntaxe n’est pas un trait générique, elle se réalise sous forme spécifique dans certaines familles linguistiques. Ceci aboutit donc à une configuration épistémologique inattendue, puisque la mise en évidence des insuffisances du modèle prédicatif de la proposition aboutit somme toute à projeter des catégories du métalangage sur des particularités supposées de l’objet décrit. À un modèle descriptif correspond un type de langues. Si insolite qu’elle puisse paraître au regard d’une épistémologie idéalisée, cette projection des métalangages disponibles sur la diversité des langues était peut-être précisément le prix à payer pour prendre celle-ci effectivement en compte. Ajoutons qu’à ce titre une telle osmose entre plans conceptuellement hétérogènes est sans doute une assez bonne illustration de la manière dont les théories scientifiques se construisent objectivement.
Enfin, du strict point de vue grammatical, la démarche de Steinthal met implicitement en évidence ce qui paraît bien être une aporie de la description : la classification des types syntaxiques chez Steinthal repose donc sur la tentative d’interpréter les traits morpho-syntaxiques spécifiques à telle ou telle famille de langues. Pour naturelle qu’elle puisse paraître, cette démarche inductive révèle rapidement ses limites. On peut en effet montrer qu’elle conduit très probablement à en surévaluer la portée sémantique dans l’acception large du terme. Ce qui revient à admettre que les propriétés observables d’une langue se révèlent finalement insuffisantes pour en induire le fonctionnement syntaxique. Si ce devrait être le cas, cela renverrait définitivement la théorie de la proposition à la grammaire générale, et son articulation sur les faits grammaticaux empiriques resterait largement triviale.
— Patrick SERIOT (Lausanne) : « Que fait le vent quand il ne souffle pas ? (Le couple sujet-prédicat dans la typologie syntaxique stadiale dans la linguistique soviétique des années 1930-1940) »
Les grands syntacticiens de l’école marriste (I. Meschaninov, S. Kacnel’son, mais pas N. Marr lui-même) ont, à la suite de A. Potebnja, élaboré une théorie de l’évolution typologique stadiale des schémas de la proposition, où la structure ergative (qui caractérise de nombreuses langues parlées en URSS) joue un rôle clé, comme passage vers l’étape finale qu’est la structure nominative des langues indo-européennes. Or l’existence en russe de très nombreuses structures « impersonnelles » et les différentes tentatives pour leur donner une place dans la typologie stadiale fonctionnent comme un révélateur à la fois de l’immense travail accompli par ces linguistes et de la difficulté que pose une vision évolutionniste des schémas syntaxiques.
On étudiera ici l’histoire des présupposés philosophiques et idéologiques nécessaires à l’élaboration de la typologie syntaxique stadiale en URSS, à partir du cas concret des structures impersonnelles, et du rejet de cette conception par J. Staline en 1950.
— Monique VANEUFVILLE (Univ. de Lille) : La conception « pragmatico-sémantique » de la syntaxe selon H. Paul
Je me propose, dans un premier temps, de présenter brièvement le contenu de la thèse que j’ai soutenue en juin 2000, intitulée La conception de la phrase et le renouveau syntaxique de 1870 à 1940, et qui représente une contribution à une classification des théories linguistiques de cette période, théories établies par des auteurs de langue allemande, française ou anglaise, à la fois dans les domaines des sciences de la pensée (influence de Frege, de Husserl et de Wittgenstein par ex.) et des sciences du langage. Cette étude, qui a pour objet la conception de la phrase, met en évidence le renouvellement du cadre hérité de Port-Royal et la séparation définitive des domaines de la logique et de la grammaire. Pour les linguistes allemands de la fin du 19 e siècle, il s’agit à la fois de distinguer la phrase de la théorie du jugement et d’établir une syntaxe de la langue allemande libérée de l’influence des grammaires grecque et latine. C’est ainsi que des auteurs comme Hermann Paul et Philipp Wegener annoncent, dès 1880, la théorie de l’énonciation et la théorie des actes de langage (leur démarche se distingue de celles, plus grammaticales, d’Oskar Erdmann, d’Hermann Wunderlich et de Ludwig Sütterlin, lesquels préfigurent la conception nouvelle d’une grammaire du signifié qui s’imposera au 20 e siècle à partir des années cinquante). Je montrerai alors le rôle d’initiateur qu’a joué le philologue allemand néo-grammairien Hermann Paul (1846-1921) pour ce courant d’analyses linguistiques « anthropologiques » du premier tiers du 20ème siècle, représenté d’une certaine façon par R. Blümel, T. Kalepky, A. Sechehaye, C. Bally et K. Bühler, et d’une autre par L. Bloomfield et A. Gardiner, et que je considère comme étant les héritiers de H. Paul et Ph. Wegener (il existe un autre courant d’auteurs, qui eux ont pour visée l’étude de la syntaxe d’une langue particulière et l’étude de la structure de la phrase, et que j’ai classés selon le critère grammatical de base de leur analyse : ainsi K. Brugmann, F. Brunot et A. Juret partent du sens, alors que pour O. Jespersen et L. Tesnière qui envisagent une ‘’syntaxe structurale’’, c’est la relation qui est la clé de voûte de la phrase, par ailleurs les analyses d’O. Behaghel, de V. Mathesius, de W. Admoni, d’E. Drach et de J. Fourquet contribuent à renouveler complètement la syntaxe de position qui est la plus ancienne conception de l’analyse de la phrase).
Dans un deuxième temps, je tenterai de resituer l’analyse que fait H. Paul de la phrase (« Satz ») en sujet et prédicat psychologiques dans la lignée des recherches de la psychologie empirique et du courant de philosophie sémiotique de tradition empiriste, dont l’ouvrage de Lia Formigari La sémiotique empiriste face au kantisme (1994) atteste l’existence en Allemagne à la fin du 18 e et début du 19 e. Lia Formigari met en effet en évidence une continuité de recherches qui, à partir de la sémiotique de Lambert, se poursuit dans les réflexions de la psychologie empirique et à travers la critique du transcendantalisme kantien ( la Métacritique de Herder) pour aboutir à la naissance, à la fin du 18 e, d’une théorie du langage répondant à une psychologische Sprachauffassung. Lia Formigari écrit (128): «Mais contrairement à ce qu’avait espéré Schlegel, dès que l’intérêt philosophique et l’intérêt empirique se ressoudent, à l’époque de Heymann Steinthal et de H. Paul, on confie de nouveau à l’observation psychologique un rôle fondamental dans l’élaboration de la théorie linguistique : l’étude des pratiques linguistiques reconquiert alors sa place dans le ‘’laboratoire de l’âme’’».
— Ekaterina VELMEZOVA (Univ.de Lausanne) : La syntaxe diffuse et le mot-phrase chez L. Tesnière et N. Marr
Le concept de mot-phrase se répète souvent dans les travaux des marristes dans les années 1920-1930, ainsi que plus tard. N. Marr lui-même n’accordait pas beaucoup d’attention à l’étude des problèmes syntaxiques (bien que, selon ses collègues et ses élèves, vers la fin de sa vie il pensait sérieusement à réviser toute sa doctrine linguistique en mettant au centre des recherches la syntaxe plutôt que la sémantique). Quoi qu’il en soit, c’est sa notion de la syntaxe diffuse , forgée sous l’influence des théories de H. Spencer, qui lui a permis de définir le mot-phrase comme l’élément primaire du langage humain (cf. avec les théories marristes de la sémantique diffuse et de la phonétique diffuse ). Dans les années 1920-1930, la notion marriste de syntaxe diffuse a influencé plusieurs études consacrées aux parties du discours ( časti reči ) et entreprises par de linguistes soviétiques. Pourtant dans la plupart des cas, les chercheurs qui utilisaient la doctrine marriste en tant que point de départ de leurs théories, arrivaient à d’autres conclusions que Marr lui-même. Nous entreprendrons également la comparaison du mot-phrase dans les travaux de Marr avec ce concept chez L. Tesnière. La lecture et l’analyse des documents qui n’ont pas été publiés jusqu’à nos jours et qui restent toujours dans les archives nous permettront de répondre à la question à savoir si Tesnière (qui a effectué plusieurs séjours en URSS dans les années 1920-1930) a emprunté la notion de mot-phrase chez les marristes.
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