|
|||
DOMAINES DE RECHERCHE
|
|||
SOMMAIREI. - LIGNES DIRECTRICES ET PERSPECTIVES DE LA RECHERCHEII - LISTE DES PUBLICATIONS |
|||
I - LIGNES DIRECTRICES ET PERSPECTIVES DE LA RECHERCHE1 - Les premiers résultats et les fondements d'un projet scientifique.Depuis le dépôt de mon projet de thèse de 3ème cycle (1969) mes recherches ont principalement porté sur l'histoire des sciences du langage. Le choix de l'expression « sciences du langage », plutôt que « linguistique » qui prévalait à l'époque, était dès le départ caractéristique de ce projet historique. Il s'agissait de ne pas se laisser enfermer dans les déterminations d'une époque (en l'occurrence le XIXe siècle où le mot « linguistique » apparaît en 1812), mais d'ouvrir la possibilité de rendre compte de la richesse conceptuelle et des variations disciplinaires de l'étude des phénomènes linguistiques. Cette étude — dans les sociétés où existe quelque chose comme une administration — paraît aussi vieille que le droit, les mathématiques ou l'astronomie ; et, il importe — si on veut comprendre les multiples déterminations qui en ont occasionné le développement — de ne pas se laisser bloquer par une idée trop étroite, tant de ses formes que de son contenu. Etre historien des sciences du langage, c'est les prendre pour objet, et c'est donc ne pas prendre directement pour objet les phénomènes que les sciences du langage prennent pour objet. Il y a une différence de spécialisation entre, par exemple un phonéticien et un historien de la phonétique. Le second ne cherchera pas à décrire des phénomènes sonores; il connaîtra d'abord des textes, des discussions, des arguments. Autrement dit, l'historien des sciences du langage n'est pas un praticien au même titre que les autres linguistes. Il y a certes une continuité entre les deux activités; si on veut comprendre quelque chose à une théorie linguistique, on n'aura pas une activité intellectuelle différente des inventeurs ou des utilisateurs de cette théorie. L'histoire des théories linguistiques est bien de la linguistique, et j'ai été initialement formé à cette discipline à l'école de Martinet, comme beaucoup d'étudiants de ma génération. Mais décrire des théories, retracer des évolutions relève d'une préoccupation et de techniques spécifiques, qui empruntent tantôt à la philosophie des sciences, tantôt à l'histoire proprement dite. Etre un spécialiste de quelque chose, c'est être familier avec certaines techniques, certaines discussions, certains matériaux empiriques. L'histoire des théories linguistiques nécessite la spécialisation au même titre que les autres branches de la linguistique. Les chercheurs de ma génération, héritiers des travaux pionniers de J.-Cl. Chevalier et J. Stéfanini, ont vécu la naissance de cette spécialisation. Cela suppose un accroissement de la codification de la discipline. En 1973, découvrir que l'opposition sourde/sonore était faite par les grammairiens français de la fin du XVIIe siècle se suffisait à soi-même. Et, pour faire cette découverte, il n'y avait guère besoin que d'une lecture des textes et d'une connaissance élémentaire de la phonétique moderne. Quand on s'aperçoit que la découverte des cordes vocales (Ferrein 1742) fait disparaître l'opposition des grammaires au profit d'un nouvelle (faible/forte), le phénomène nécessite des analyses aussi bien phonétiques qu'épistémologiques plus poussées. Aujourd'hui, pour avancer de nouvelles connaissances, l'historien de la phonétique devra dépouiller des centaines de textes, et se livrer à des analyses sophistiquées qui exigent de lui qu'il s'y consacre à temps plein. Une recherche suppose des résultats. Par « résultat » en histoire des théories linguistiques, il faut entendre : soit l'établissement d'un fait jusque là inconnu, soit la construction d'un modèle descriptif ou évolutif correspondant à une certaine classe de phénomènes, soit la confirmation ou la falsification d'un modèle connu, soit enfin la constitution de matériaux de base (éditions critiques, dépouillements d'archives, bibliographie etc.). En quelques vingt cinq ans de travail, j'ai apporté des résultats dans chacune de ces classes. Le travail d'archive ou d'édition critique est affaire de spécialisation ; il vaut quand il est exploitable au niveau théorique, c'est-à-dire exprimable pour des non spécialistes. Je ne puis exposer en détail tous les résultats produits. Deux ensembles me paraissent particulièrement significatifs. Le premier concerne ce que j'ai appelé la théorie des idées. Dès 1972, dans ma thèse,j'ai postulé l'existence d'un noyau théorique formalisable, correspondant à la logique classique et à la grammaire générale. Pour cette dernière cela revenait à dire que la détermination correspondait à l'addition des idées, ou encore à l'augmentation de leur compréhension et à la diminution de leur extension. Une loi d'absorption (a+b=a si a<b), permet de prédire la distinction entre les relatives explicatives et déterminatives. L'identité du mécanisme de détermination explique la catégorisation comme adjectifs, de notre qualificatif au même titre que nos déterminants. On déduit facilement un isomorphisme entre la théorie des idées et la logique des classes (sans identité, ni complémentation). Depuis une dizaine d'années j'ai consacré plusieurs articles et un ouvrage à l'exploration de la théorie des idées. Ils apportent un nouveau modèle historique pour le développement de la logique dans son rapport aux théories linguistiques. Le modèle est maintenant généralement admis dans ses grandes lignes (cf. les ouvrages de M. Dominicy et J.-Cl. Pariente). Les discussions actuelles (particulièrement depuis la présentation par Dominicy d'un modèle extensionnel, qui réduit les idées à des fonctions de l'ensemble des mondes possibles sur lui-même), conduisent à reconsidérer les fondements de la sémantique lexicale classique (qu'il s'agisse de l'analyse sémique ou de sa formulation par Katz). J'ai pu en 1991 aborder d'un point de vue nouveau la question du passage de l'arbre de Porphyre à la loi de Port-Royal (notamment grâce à l'étude de la traduction latine commentée de Porphyre — Isagogê — par le logicien de la Renaissance Pacius). Par ailleurs, je suis en mesure de présenter une analogie forte entre la conception de l'étendue (latitude d'étendue vs degré d'étendue) construite par Beauzée et les modèles mathématiques du mouvement des calculateurs d'Oxford. L'ouvrage technique (La logique des idées, Vrin/Bellarmin, 1993) fait le point de la question, et clôt probablement mes recherches sur ce thème. Le second concerne globalement le mode d'évolution des théories linguistiques. Les modèles dominants jusqu'ici étaient excessivement discontinuistes, et par conséquent négligeaient le fait qu'il y ait dans les sciences du langage des processus cumulatifs sur le long terme. Une telle idée est très défavorable à la recherche linguistique et à la reproduction des connaissances. En tentant de décrire la théorie classique de la synonymie, puis en la suivant de Girard (1718) jusqu'à la fin du XIXe siècle, j'ai pu montrer qu'elle était la source de la conception saussurienne de la valeur linguistique. Ce type d'évolution est particulièrement remarquable. Entre Girard et Saussure, il y a d'une part permanence d'un ensemble d'exemples canoniques, et d'autre part une généralisation théorique: l'axiome de Girard-Prodicos sur l'impossibilité d'existence dans un même état de langue de synonymes parfaits, se déduit de la thèse saussurienne selon laquelle la valeur d'un élément est déterminée par sa relation aux autres. Un long travail rédigé en 1986 avec ma collègue I. Rosier a permis pareillement de suivre la théorisation des deux types de relatives depuis le douzième siècle jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle. Le programme sur l'histoire des parties du discours de l'UA 381, auquel j'ai participé pour l'histoire de la grammaire générale française, et dont les premiers résultats sont exposés dans un numéro de Langages (1988), va dans le même sens. Ce type d'étude est propre à donner de la pratique de la linguistique une idée plus constructive. Il en va de même pour la naissance de la grammaire comparée, qui n'est pas la brutale émergence d'un nouveau paradigme, mais une mutation au sein d'une tradition séculaire d'analyse des changements linguistiques (voir le long chapitre que j'ai rédigé sur cette question dans le tome 2 de l'Histoire des Idées Linguistiques, 1992). Des études sur la sociologie de la discipline montrent en outre clairement la liaison de son développement à l'existence de structures de cumulation (d'où la catastrophe qu'a représenté pour la linguistique française la carence universitaire dans les pays francophones pendant les deux premiers tiers du XIXe siècle). La liaison de la cumulation des recherches collectives, des découvertes empiriques et des modèles théoriques conduit souvent à de beaux résultats. On en prendra pour exemple la grammaire générale. Pendant très longtemps les historiens des sciences du langage, ont considéré que la Grammaire générale et raisonnée de Port Royal (1660 ; Privilège de 1659) était l’origine du mouvement même de la « grammaire générale ». Ils ont également entériné l’idée selon laquelle la recherche scientifique concernant ce domaine s’était rapidement éteinte au début du XIXème siècle pour faire place à la grammaire comparée, véritable avènement de la science des langues ou linguistique. Les critiques contre la méthodologie de la grammaire générale, menée notamment par les disciples de Humboldt, et qui visaient sans doute davantage les travaux idéalistes d’obédience kantienne, comme ceux d’A.-F. Bernhardi ou de J. S.Vater, ont durablement lié la grammaire générale avec le rationalisme. Chez les historiens, la vulgate prend donc la forme suivante : la grammaire générale, née avec Port-Royal, est une discipline rationaliste (née du cartésianisme), a priori et de peu de valeur empirique, par manque d’intérêt pour la facticité (ou l’historicité) des langues ; sous cette forme, elle a été le paradigme dominant aux 17ème et 18ème siècles. Ce modèle avait largement été mise à mal par nos recherches empiriques : existence de grammaires générales antérieures (Allemagne et Angleterre au début du 17ème siècle), postérieures (jusqu’à Marty et Hjelmslev) et dans le courant empiriste (Condillac), rôle de la théorie des idées et de la grammatisation (la grammaire générale est, comme le sera le comparatisme, une réponse au problème posé par la multiplicité hétérogène mise au jour par la grammatisation). Une découverte empirique est venue confirmer le modèle : nous avons retrouvé une Grammaire générale et raisonnée due à un confesseur de Richelieu, le Père Macé, qui a polémiqué avec Arnauld sur des questions de théologie. L’exemplaire que nous avons eu entre les mains date de 1651 ; elle existait peut-être dès 1635 et a connu trois éditions jusqu’à la fin du 17ème . L’ouvrage répond explicitement au souci pédagogique de surmonter la diversité des langues et évoque la Janua Linguarumde Comenius. Dès lors, non seulement nous confortons empiriquement notre modèle général pour expliquer l’apparition de la grammaire générale, mais une mise en série simple rend compte de l’œuvre de Port-Royal. La GGR-PR est le point de convergence de trois séries distinctes :
La grammatisation des vernaculaires est la cause empirique qui fait naître la grammaire générale, comme problème, aussi bien que comme projet intellectuel et pédagogique; la tradition causaliste lui fournit son projet explicatif ; la logique des idées est ce qui lui donne son assise théorique et ses limites. Incontestablement, Macé n’appartient qu’à l’une de nos trois séries ; son texte, honorable, en parfait accord avec la modernité de son temps, outre son manque d’innovations théoriques, ne pouvait avoir le même retentissement que celui de Lancelot. 2 - Les grands chantiers collectifs.J'ai noté plus haut que les années 70-90 ont vu un profond changement dans la façon de se consacrer à l'histoire des théories linguistiques. Cela suppose une organisation et une coordination. Une partie non négligeable de mon temps a été consacré à cet aspect des choses, qu'il s'agisse de la création de groupes de travail, de la fondation de publications, de la programmation de la recherche ou de son rayonnement à l'étranger (cours, conférences, participation à des colloques, à des comités d'évaluation etc.). La direction de travaux collectifs (diriger veut dire aussi chercher, rédiger, proposer des hypothèses), aboutissant à des livres ou des numéros spéciaux de revue, a été pour moi une façon constante d'impulser des recherches dans des directions qui n'étaient pas au départ évidentes. Je pense, par exemple, au livre sur l'histoire de la linguistique amérindienne en France, où l'association d'un historien et d'un linguiste de terrain (F. Queixalos), a permis de mettre sur pied un programme qui nécessitait des compétences variées, qui ne se seraient probablement jamais rencontrées sans une action volontaire. Il est certain aussi que l'expérience de la confection, en marge des mes travaux d'historien des sciences du langage, d'un dictionnaire des notions philosophiques, achevé en 1990 après dix ans de travail avec 700 collaborateurs, a largement modifié mon point de vue sur le rôle créatif des entreprises collectives. Il en va de même pour la revue HISTOIRE EPISTEMOLOGIE LANGAGE. Je crois être parvenu depuis sa création en 1979, avec l'aide d'un comité de rédaction et d'un comité de lecture international, à en faire une revue reconnue et de visibilité internationale. L'année 1996 a vu une refonte complète de la maquette intellectuelle de la revue afin de la rendre plus créative et interactive. J’ai démissionné de la direction de cette revue en 2002 pour laisser place à une nouvelle génération. Pareillement, après avoir rédigé pour la sous-commission des publications de la section 42 et à sa demande, un rapport sur la création, aux éditions du CNRS, d'une collection consacrée aux sciences du langage (1986), j'ai accepté d'en prendre la direction (1988). Les réunions du comité de rédaction et le travail de prospective ont été l'occasion d'un tour d'horizon fructueux sur la recherche linguistique. Je n'ai abandonné mes fonctions (1995) que devant la nécessité de libérer du temps, lorsque j’ai pris la direction de l’ENS. Il est vite devenu clair que la poursuite d'un projet scientifique cohérent ne pouvait se développer sans une équipe de recherche institutionnalisée. Après en avoir assuré la conception des programmes et la rédaction des rapports de recherche de l'URA 381, j'en ai assumé entièrement la direction à partir de 1992; cette unité a été créée en 1984 grâce à l'appui de J.-C. Chevalier qui en a été le premier directeur. Il s'agit maintenant d'une grosse équipe qui regroupe une soixantaine de chercheurs, dont neuf personnels CNRS. Son organisation matérielle (bibliothèques, équipement informatique, constitution de banques de données) et humaine (secrétariat, service de documentation, équipes spécialisées poursuivant des programmes précis) en fait un instrument de recherche extrêmement performant. Le laboratoire a été transformé en UMR avec une double localisation (Paris 7, ENS Fontenay/St. Cloud) en 1997. J’ai démissionné de mes fonctions en décembre 2001 afin de laisser la place à un chercheur plus jeune et plus disponible. Le bon fonctionnement de cette équipe m’a permis d’y être réintégré comme chercheur en septembre 2005, à la fin de mes mandats administratifs. D'une certaine façon, l'aboutissement logique du travail autant intellectuel qu'institutionnel sur les sciences du langage et leur histoire est l'Histoire des idées linguistiques de mille sept cents pages en trois tomes, dont le premier tome est paru 1 en février 1990 (daté 1989) et le dernier en 2000. Ce lourd programme de l'URA 381 réunit 80 collaborateurs. Après le premier travail de conception (la première ébauche date de 1982), j'ai uniformisé les articles, discuté avec les auteurs de leur rédaction et de leur contenu, traduit ceux qui ont été rédigés en anglais, en espagnol ou en allemand, demandé ou rédigé des compléments, constitué les différents index et l'appareil bibliographique. Outre la rédaction de certaines sections, je me suis consacré aux présentations qui ouvrent chaque volume et où je développe les innovations théoriques et les perspectives nouvelles d'interprétation apportées par l'ensemble de la recherche (l'introduction du premier tome est consacrée à l'apparition des théories linguistiques, et renverse la perspective traditionnelle de l'identification de leur apparition à celle de l'écriture ; celle du second à la notion de grammatisation). Cet ouvrage couvre les quelques 30 siècles qui vont des débuts de l'analyse du langage jusqu'aux années 20 de notre siècle (limite symbolique : le premier congrès des linguistes, 1928). C'est la première fois que l'on tente une synthèse de ce genre, originale non seulement par son point de vue (s'attacher aussi bien à la logique, qu'à la grammaire, au déchiffrement des écritures, au savoir linguistique en général dans son rapport aux différentes sociétés) que par son étendue (il couvre également les traditions non-occidentales). Cet ouvrage est conçu comme un manuel, au sens où il doit servir d'instrument d'information ; mais c'est essentiellement un ouvrage de recherche, dans la mesure où il offre quantité d'innovations, qui proviennent tant de la présentation de synthèses que de nouveaux travaux engagés à cette occasion. C'est notamment la première fois que l'on aborde le problème épistémologique de la naissance des sciences du langage. La parution de l'Histoire des Idées Linguistiques est incontestablement le résultat du mûrissement du travail considérable des historiens de la linguistique. On peut penser qu'elle contribuera largement au statut de la discipline, en lui offrant un horizon de rétrospection, semblable à celui qu'ont constitué les historiens des mathématiques et de la physique. J'ai fait une tentative dans cette direction, en présentant avec La révolution technologique de la grammatisation (Mardaga, 1994) une introduction générale à l'histoire des sciences du langage. L'originalité de cette présentation est d'assumer l'idée que les sciences du langage sont nées de pratiques techniques, grammaires et dictionnaires étant conçus comme des outils linguistiques susceptibles de changer l'écologie de la communication humaine. Ce point de vue technologique sur l'histoire admet des continuités sur le long terme, que les modèles habituels, trop théoriques et abstraits, ont largement sous-estimées au profit de ruptures épistémologiques relativement superficielles. L'expérience acquise a été partiellement réinvestie dans un projet trilingue d'histoire des sciences du langage — plus limité dans son objet, mais plus détaillé dans le suivi technique des connaissances (il couvre la grammatisation de la plupart des langues, alors que nous avons dû nous contenter d'exemples) dans la collection des manuels de linguistique parus chez De Gruyter à Berlin, avec une direction quadruple (outre moi-même, un collègue canadien, K. Koerner, un collègue allemand, H.-J. Niederehe, et un collègue hollandais, C. Versteegh). Plus complet en ce qui concerne la documentation, le nombre et le volume des contributions, je ne puis m’empêcher de penser que la collaboration nous a conduits vers un travail plus conventionnel et moins innovant conceptuellement que l’Histoire des idées linguistiques. 3 - De nouveaux chantiers personnelsMon but, en marge de ces synthèses, a été de consacrer l'essentiel de ma recherche à exploiter les nouvelles perspectives ouvertes par ce travail historique dans le domaine de l'épistémologie des sciences du langage. C'est dans cette perspective que j'ai renforcé ma formation mathématique et mes connaissances des travaux linguistiques en cours. Si le fait que les sciences aient une histoire ne peut être indifférent à leur nature, cela signifie aussi que notre travail d'historien doit déboucher sur une intervention dans le champ épistémologique2. L'un des problèmes clés est le statut des grammaires et de ce qu'on peut appeler les outils linguistiques. L'autre question fondamentale est celle du rôle de la récursivité (ou calculabilité) dans les activités langagières humaines. J’ai achevé durant l'été 1997 un livre qui reprend tous les débats contemporains, sous le titre La raison, le langage et les normes. C'est pour le préparer que j'ai consacré l'essentiel de 1994-1995 à la rédaction d'un ouvrage général sur La philosophie du langage (Paris, Presses Universitaires de France) ; cet ouvrage, largement original dans sa conception de la discipline, m'a permis de faire le tour de la question et de compléter mon information sur bien des points). Avec la parution (1998) de la Raison, le langage et les normes, mes recherches épistémologiques ont atteint une maturité qui se traduit par deux thèses et une hypothèse:
4. L'administrationRétrospectivement, il est clair que mes projets ne se conçoivent pas sans la poursuite et l'intensification de ma tâche d'organisation et de direction de la recherche (conception et gestion de programmes, de publications, incitation à l'ouverture de nouveaux chantiers, accueil de stagiaires et de jeunes chercheurs, évaluation, etc.). Il est évident qu'il s'agit là d'un travail que je poursuis depuis quinze ans et que je me reconnais parfaitement dans tout ce qui a été patiemment construit et sans quoi la plupart des résultats n'auraient pu voir le jour. Sans mon engagement dans ces tâches, je suis persuadé que je n'aurais pu acquérir la forme de pensée qui est la mienne aujourd'hui. Tout naturellement, au fil des années — et des réalisations — cette tâche s'alourdit. L'année 95 a été un tournant décisif dans cette direction: j'ai préparé un dossier de candidature à la direction de l'ENS de Fontenay/St. Cloud et ai été nommé à ce poste en novembre 1995. J'ai conçu cette nouvelle fonction sans solution de continuité avec ma vocation et mon activité de chercheur, de la même façon que mes activités d'organisateur (conception et gestion de programmes, de publications, incitation à l'ouverture de nouveaux chantiers, accueil de stagiaires et de jeunes chercheurs, évaluation, etc.) ont toujours nourri et même rendu possibles mes travaux personnels. Il ne s'agit pas, en effet, d'une activité "directionnelle" de routine. Le problème essentiel que j'ai eu à affronter est un problème intellectuel: l'école était à restructurer scientifiquement et pédagogiquement et à relocaliser. Il s'est agit de construire un projet qui concerne la formation et la recherche en sciences humaines et sociales. C'est pourquoi j'ai choisi d'affronter ce problème. L'absence de solution de continuité avec mon projet scientifique, au sens le plus strict, correspond fort exactement, d'une part à l'idée que j'ai peu à peu acquise du caractère social de l'activité scientifique, d'autre part au désir de mettre en pratique la conception des sciences humaines comme disciplines anciennes et autonomes, disposant de technologies propres telle qu'elle s'est construite au cours de mes recherches. Ce travail a supposé un certain redéploiement de mes activités, compte tenu d’une gestion qui a supposé une délocalisation en région Rhône-Alpes, une totale restructuration administrative, scientifique (création d’un pôle de recherche) et pédagogique (élaboration de la réforme LMD à l’intérieur de l’ENS, ce qui a eu pour effet de rendre l’établissement diplômant pour la première fois de son histoire). Mais après la fin d’un second mandat (22 septembre 2005) qui s’est déroulé en région Rhône-Alpes (2000-2005), j’ai la conviction qu’il s’agit d'une oeuvre au même titre que les ouvrages que j'ai rédigés ou dirigés ou que ceux qui sont en cours d'élaboration. 5. PerspectivesMes tâches administratives ont considérablement ralenti mes recherches personnelles et m’ont conduit à réorienter mes activités : notamment, démission de la direction de l’UMR 7597 fin 2001 et de celle de la revue Histoire Epistémologie Langage fin 2002. Depuis l’achèvement de ma tâche au sein de l’ENS, je suis redevenu un membre pleinement actif de l’UMR 7597, sur un plan essentiellement scientifique puisque j’ai souhaité mettre un terme à mes activités administratives et consacrer les dix prochaines années à la seule recherche Je souhaite réorienter cette recherche. On remarque, en effet, que le renouveau contemporain des études historiques a traversé plusieurs étapes : la première où l'on s'intéressait essentiellement à des formulations générales concernant les conceptions théoriques (le meilleur est le plus brillant exemple reste M. Foucault). C'est la fréquentation des produits de cette étape qui a assuré ma formation dans le domaine. Avec la dernière étape, nous avons franchi un seuil qualitatif important. La représentation que l'on peut avoir des sciences du langage a définitivement changé, comme ont changé les modèles qui en représentent l'évolution. On notera simplement l'apparition de l'histoire comparée, avec la prise en compte de traditions indépendantes de l'Occident (Inde, Chine, Japon, monde arabe), ou encore l'accroissement considérable des faits connus. Il est bien évident que cela ne suffit pas. D'une part, l'époque contemporaine n'a pas encore été abordée avec les nouvelles méthodes, ce qui est indispensable pour pénétrer davantage dans l'épistémologie et les débats contemporains. D'autre part, nous sommes encore incapables de répondre à quantité de questions sur la date de formulation de telle ou telle connaissance et son contenu exact, c'est-à-dire de répondre autrement que globalement ou très partiellement à la question de l'invention en matière de sciences du langage. C’est pour cette raison que j’ai décidé de donner à mes travaux une tournure plus épistémologique. De fait mon travail s’est réorienté vers une dimension plus philosophique, discipline que mes travaux historiques me conduisent à élargir en fonction de deux continuités essentielles. La première concerne la théorie de la science. J’ai toujours considéré que l’épistémologie avait deux dimensions, l’une normative (elle vise les valeurs engagées dans la démarche scientifique), l’autre positive (elle étudie le fonctionnement réel des disciplines et ne peut être abordée que par l’histoire). La seconde concerne la philosophie d’une science donnée, en l’occurrence la philosophie du langage. Entre les réflexions philosophiques concernant une discipline et celle-ci, il n’y a pas de véritable solution de continuité ou de principe de démarcation net. C’est en appliquant ce double point de vue que j’ai rédigé l’ouvrage sur l’origine du langage (PUF, 2007), dont les conclusions sont sévères pour une large partie de la recherche contemporaine qui s’est laissé aller autant à des conceptions illusoires de l’activité scientifique, qu’à des exercices douteux de statistique historique et classificatoire ou de recherches hasardeuses, comme le prétendu « gène grammatical ». C’est dans cette direction que je compte poursuivre mes recherches dans les années qui viennent en m’efforçant de comprendre quelles contraintes font peser sur la représentation du langage, le fait qu’il soit l’objet d’une science ou d’une technique et quelles conséquences ont pour nos activités cognitives le poids externe des outils linguistiques. La méthode – confortée par la double continuité dont on vient de parler – reposera toujours sur l’analyse historique qui fait de l’épistémologie une discipline empirique. NOTES 3. Les chercheurs continueront sans aucun doute à travailler dans cette direction. Il reste encore de graves lacunes: si l'Antiquité, l'Age Classique et l'époque des Lumières sont maintenant relativement bien connues, si le Moyen-Age et la Renaissance commencent à l'être (il reste encore un immense travail à faire), on connaît très mal des domaines entiers (comme la phonétique) et des périodes fort proches (le XIXe siècle) sont encore suffisamment mal explorées pour que ce que l'on en dit relève plus de l'hagiographie ou de topos convenus que d'une connaissance historique digne de ce nom. II -LISTE DES PUBLICATIONS
I - OUVRAGES SCIENTIFIQUES1973 L'Encyclopédie 'grammaire' et 'langue' au XVIIIe siècle, Paris, Mame. [édition des articles langue et grammaire de l'Encyclopédie avec présentation et notes]. 1979 La Sémiotique des Encyclopédistes. Essai d'Epistémologie historique des sciences du langage, Paris, Payot.[les 350 pages de cet ouvrage, couronné par l'Académie Française, constituent une description précise du champ des conceptions linguistiques au XVIIIe siècle. Les articles de l'Encyclopédie qui ont été le point de départ de l'analyse, offrent l'avantage d'être une synthèse construite par les chercheurs de l'époque] 1981 Condillac. La Langue des Calculs. Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires de Lille. [édition critique à partir du manuscrit, Paris BN, en collaboration avec A.-M. Chouillet ; texte introductif Condillac ou la vertu des signes]. 1982 L'Illuminismo Francese et la tradizione logica di Port-Royal. Bologne, Clueb. [120 pages ; première tentative de construction d'un modèle évolutif pour la logique classique qui envisage le rapport entre la théorie de Port-Royal et l'algèbre logique de Boole]. 1990 Barbarie et Philosophie, Paris, PUF (trad. italienne, avec une postface, Rome, éd. Riuniti, 1993) [200 pages ; réflexion historique sur le domaine des sciences humaines et leur rapport à la philosophie]. 1992 A revoluçao tecnologica da gramatizaçao, Campinas (Brésil), Editora da Unicamp.[120 pages ; exposé synthétique des conceptions épistémologiques contenues dans les tome 1 & 2 de l'Histoire des idées linguistiques]. Réédition revue en 2008, avec une postface inédite dans laquelle on analyse les résultats du développement de la recherche à partir des idées proposées dans l’ouvrage, notamment le fait d’envisager grammaires et dictionnaires comme des outils linguistiques. 1993 La logique des Idées, Montréal, Bellarmin & Paris, Vrin. [300 pages ; modélisation algébrique de la logique classique et discussion des modèles antérieurs; discussion de son rôle dans le champ des sciences cognitives et par rapport au problème intensionnalité/extensionnalité]. Nouvelle édition revue, avec une postface inédite en 2008. Texte disponible en ligne en fichier pdf avec l'aimable autorisation de l'éditeur 1994 La révolution technologique de la grammatisation. Introduction à l'histoire des sciences du langage, Liège, Mardaga. (trad. italienne, Palerme, 1998) [216 pages ; reprise et extension de l'ouvrage paru en portugais sous le même titre (1992), afin de fournir une vision générale de l'histoire des sciences du langage, depuis les débuts jusqu'au comparatisme et à la proclamation de l'autonomie de la linguistique; se trouvent notamment formulées et argumentées les thèses suivantes : I) antériorité de l'écriture par rapport aux sciences du langage ; II) existence de « révolutions technolinguistiques » : écriture, grammatisation et automatisation. Grammaires et dictionnaires sont envisagés comme des instruments linguistiques et ont à être considérés du point de vue de l’histoire des techniques]. 1996 La philosophie du langage, Paris, PUF. [450 pages (collaboration avec J. Deschamps et D. Kouloughli, qui sont au total pour 20% dans l'ouvrage) ; il s'agit de proposer une vision synthétique de toute la réflexion philosophique possible concernant le langage; l'originalité de l'ouvrage est de traiter non seulement des matières traditionnelles depuis Platon jusqu'à la philosophie analytique, mais aussi d'envisager les pathologies, la psychanalyse et, surtout, d'être centré sur la philosophie de la linguistique. Il s'agit d'une redéfinition considérable du champ qui comporte l'indication de multiples pistes de recherches. On a joint deux appendices, l'un constituant une chronologie de la matière, l'autre une étude des travaux de mathématisation de la connaissance du langage]. Traduction portugaise, italienne, espagnole et grecque. Réédition revue et corrigée (sans les Appendices), avec une Préface inédite qui analyse rapidement le récent développement du paradigme naturaliste en matière de langage, dans la collection Quadrige-Manuels (2004). 1998 La raison, le langage et les normes, Paris, Presses Universitaires de France [350 p. Il s'agit d'un ouvrage d'épistémologie de la linguistique auquel j’ai travaillé durant de nombreuses années. La thèse essentielle vise à limiter la représentation du langage comme système calculable et, par conséquent à critiquer autant les bases du chomskysme que celles des sciences cognitives. Elle peut s'exprimer dans l'hypothèse externaliste : le langage ne saurait se réduire à une structure interne à l'individu pour deux raisons essentielles, l'une tient aux déterminations externes de la référence, l'autre au fait que nous manipulons notre langage à l'aide d'outils linguistiques externes. La mise au jour de cette seconde raison tient à nos analyses historiques des processus de grammatisation. Deux grandes hypothèses sont argumentées dans cet ouvrage: outre l’externalisme, on y défend la sous-détermination grammaticale (aucune représentation grammaticale n’est susceptible de « prédire » la totalité des faits linguistiques réels); y sont présentés des concepts comme l’hyperlangue pour désigner l’espace de la facticité linguistique réglant la langue empirique, par opposition à la langue grammaticale. Par ailleurs, une analyse poussée, montre que la linguistique, comme les autres sciences humaines qui traitent des phénomènes culturels, a pour objet des faits normés. L'essentiel de mes travaux d'épistémologie et de mes publications dans ce domaine est lié à la rédaction de cet ouvrage et à l’élaboration de ses thèses et analyses.]. 2000 Histoire Epistémologie Langage, textes choisis du Prof. Sylvain Auroux, Introduction, choix et commentaire du Prof. N. Bocadorova, traduit en russe par une équipe de l’Académie des Sciences, Moscou, Editions du Progres, 407 p. 2007 La question de l’origine des langues, suivi de L’historicité des sciences, Paris, PUF, collection Quadrige-Essais, 192 p. En préparation :
II - DIRECTION ET CONCEPTION D'OUVRAGES COLLECTIFS1980 Histoire de la linguistique française, Langue française n°48 (avec J.-Cl. Chevalier). 1982 participation à la préparation de Condillac et les problèmes du langage (J. Sgard, éd.) ; Genève, Slatkine. 1984 Matériaux pour une histoire des théories linguistiques, actes de ICHoLS II, 680 p., Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires de Lille (avec M. Glatigny, A. Joly, A. Nicolas et I. Rosier). 1985 La Linguistique Fantastique. Paris, Clims/Denoël, 385 p. (avec N. Chaquin, J.-Cl. Chevalier et Ch. Marcello-Nizia). 1988 n° spécial de la revue HEL, sur Meillet et la linguistique de son temps. 1989 Histoire des idées linguistiques. t. I : La Naissance des Métalangages en Orient et en Occident, Liège, Mardaga, 512 p. 1990 Les notions philosophiques. Dictionnaire (Presses Universitaires de France, t. II de l'Encyclopédie Philosophique Universelle). 2 vols. 1991 L'Encyclopédie, Diderot, l'Esthétique, Hommage à Jacques Chouillet (1915-1990), Paris, Presses Universitaires de France. [Il s'agit d'un ensemble d'études très spécialisés concernant l'histoire des idées au XVIIIe siècle]. 1992 Histoire des idées linguistiques. t. II : Le développement de la grammaire occidentale, Liège, Mardaga (1991). [voir 1989. Ce second tome de 700 pages apporte — outre une information sans précédent — une nouvelle vision du développement des sciences du langage sur la période qui va du Ve siècle aux années 1830. L'originalité occidentale y est appréhendée à partir du concept de grammatisation, on entend par là l'outillage d'une langue avec des grammaires et des dictionnaires. Aucune autre civilisation n'a entrepris de grammatiser les langues du monde et, par conséquent, seul l'Occident a mené à bien cette entreprise sur la base d'un même noyau conceptuel issu de la culture gréco-latine. C'est de là qu'il faut envisager les spécificités de ce qui deviendra la linguistique. L'axe de la révolution de la grammatisation se situe à la Renaissance et celle-ci doit être envisagée, dans le domaine des sciences du langage, comme le symétrique de la révolution galiléenne]. 1992 Opérations mentales et théories linguistiques, n° spécial de la revue HEL. [Les contributions de cet ouvrage tentent de restituer la question depuis la théorie du langage mental jusqu'à la naissance des sciences cognitives modernes]. 1996 Responsable pour les auteurs français (140 entrées) du Lexicon Grammaticorum (dir. H. Stammerjohan), Francfort, Max Niemeyer, en anglais.[Cet ouvrage est la première tentative conséquente de constitution d'une biographie intellectuelle des principaux linguistes et grammairiens (1500 entrées). Il présente une première réévaluation de la discipline]. 1997 Histoire et grammaire du sens (en collaboration avec H. Meschonic et S. Delesalle), Paris, A. Colin. [Cet ouvrage, conçu comme un hommage à J.-C. Chevalier, fait le point, notamment, des recherches actuelles de l'URA 381]. 1997 L’hyperlangue brésilienne, Langages n° 130 (en collaboration avec E. Orlandi et F. Mazière). [Synthèse en français des travaux menés au cours du programme de coopération franco-brésilien.] 1997 Histoire des idées linguistiques, t. III : L’hégémonie du comparatisme, Liège, Mardaga (voir plus haut) [Ce dernier tome de HIL est essentiellement consacré au 19ème siècle ; il prend fin à l’horizon 1928 avec la première réunion internationale des linguistes. On s’est efforcé de sortir des histoires convenues et de tenir compte de la réalité empirique de l’histoire, en évoquant les perspectives racistes de certains indo-européanistes l’importance des recherches sur l’origines des langues et la langue universelle] 2003 History of Linguistics 1999, Amsterdam, John Benjamins. [Publication des Actes du Colloque ICHoLS VIII, qui s’est tenu à l’ENS de Fontenay-aux-Roses en 1999]. 2000-2005 History of Linguistics and Communication Science [trois volumes consacrés à l'histoire des sciences du langage dans la collection internationale de de Gruyter, Händbücher zur Sprach- und Kommunikationswissenschaft (trilingue allemand, anglais, français). Conformément aux principes de cette série (qui doit remplacer les Current Trends, dirigés par T. Sebeok, il y a une vingtaine d'années), les responsables ont contacté un premier responsable (K. Koerner, U. d'Ottawa), lequel a choisi trois autres directeurs (S. Auroux, CNRS ; H.-J. Niederehe, Trèves, et C.H.M. Versteegh, Niemègue). Le processus de préparation a duré 6 ans ; la première réunion de préparation entre les directeurs a eu lieu à Trêves en mai 1986; le contrat a été signé en 1993. Le plan a été achevé en 1994, date à partir de laquelle les auteurs ont commencé à être contactés par l'éditeur. Le premier volume est paru en 2000, le second en 2002, le dernier en 2005].
|